• EVANGILE DE PHILIPPE

    Evangile de Philippe

    (1) Un Hébreux peut faire un Hébreux et on appelle ce dernier un prosélyte, mais un prosélyte ne peut pas faire un prosélyte. (Certains) sont tels qu'ils sont et font d'autres pareils à eux parce que ceux-ci le deviennent.

    (2) L’esclave n’aspire qu’à être libre. Il ne recherche pas les biens (ousia) de son maître. Mais le fils, non seulement il est fils mais il peut prétendre à l’héritage de son père. Ceux qui héritent de ce qui est mort sont eux-mêmes morts et héritent de ce qui est mort. Ceux qui héritent de ce qui est vivant sont eux-mêmes vivants et héritent de ce qui est vivant et de ce qui est mort. Les morts n’héritent de rien. Car comment un mort pourrait-il hériter ? Si celui qui est mort hérite de ce qui est vivant, il ne mourra pas, mais alors, lui qui était mort, vivra.

    (3a) Un païen ne meurt pas car il n’a jamais vécu pour pouvoir mourir. Celui qui croit à la vérité vit, et il court le danger de mourir car il vit.

    (3b) Depuis le jour o˜ le Christ est venu, le monde a été créé, les villes, ordonnées (kosmei), ce qui est mort, rejeté.

    (3c) Quand nous étions des Hébreux, nous étions orphelins et nous n’avions qu’une mère, mais quand nous sommes devenus chrétiens, nous avons eu un père et une mère.

    (4 et 5) Ceux qui sèment en hiver récoltent en été ; l’hiver, c’est le monde, l’été, c’est l’Eon. Semons dans le monde afin de pouvoir récolter en été. C’est pourquoi il ne convient pas que nous priions pendant l’hiver ; en dehors de l’hiver, c’est l’été. Celui qui récoltera en hiver ne récoltera pas, il arrachera, car ce qui est inexistant ne porte pas de fruit, non seulement il ne produit pas, mais même le sabbat ne produit pas de fruit.

    (6) Le Christ est venu en racheter quelques-uns, délivrer les uns, sauver les autres. Ceux qui étaient étrangers, il les a rachetés et il les a faits siens. Et il a séparé les siens, ceux qu’il donna comme garantie de ses intentions. Ce n'est pas seulement lorsqu'il se manifesta qu'il livra son ’me (psyché) volontairement, mais depuis que le monde existe, il l'a livrée. Lorsqu'il le voulut, il vint alors pour la délivrer puisqu'elle était gardée en otage. Elle se trouvait au milieu des brigands et elle avait été emmenée prisonnière et il la sauva. Et Il racheta les bons et les méchants qui sont dans le monde.

    (7) La lumière et les ténèbres, la vie et la mort, la droite et la gauche sont sœurs les unes des autres ; elles sont inséparables. C’est pourquoi ni les bons sont bons ni les méchants méchants, ni la vie est vie, ni la mort est mort. En conséquence chacun sera dissous dans sa nature originelle. Mais ceux qui sont supérieurs au monde sont indissolubles, éternels.

    (8a) Les noms qui sont données aux choses du monde renferment une grande illusion, car ils détournent la pensée de ce qui est réel vers ce qui n'est pas réel, et celui qui entend le nom ´ Dieu ª ne saisit pas ce qui est réel mais ce qui n'est pas réel. De même dans le ´ Père ª et le ´ Fils ª et ´ l'Esprit Saint ª et la ´ Vie ª et la ´ Lumière ª et la ´ Résurrection ª et ´ l’Eglise ª, et tous les autres on ne perçoit pas ce qui est réel, on perçoit ce qui n'est pas réel, à moins d'avoir appris ce qui est réel.

    (8b) Tous les mots entendus dans le monde sont trompeurs. S'ils étaient dans l'Eon, ils ne seraient pas prononcés dans le monde à aucun moment, et ils ne seraient pas rangés parmi les choses du monde. Dans l'Eon ils ont une fin.

    (9a) Un seul nom n'est pas prononcé dans le monde, le nom que le Père a donné au Fils. Il est supérieur à tout. C'est le nom
    du Père. Car le Fils ne deviendrait pas le Père s'il ne revêtait pas le nom du Père. Ce nom, ceux qui le possèdent le connaissent, mais ils ne le prononcent pas. Ceux qui ne le possèdent pas ne le connaissent pas.

    (9b) La Vérité engendra les noms dans le monde parce qu'il est impossible de l'apprendre sans noms.

    (9c) La Vérité est unique mais en même temps elle est multiple pour que nous puissions, par amour, enseigner cet Unique grâce à sa multiplicité.

    (10a) Les archontes voulurent tromper l'homme quand ils virent qu'il était apparenté (suggeneia) à ce qui est vraiment bon. Ils prirent les noms de ce qui est bon et les donnèrent à ce qui n'est pas bon pour le tromper par les noms et le lier à ce qui n'est pas bon. Et après cela, s’il leur manifeste de la faveur, ils les enlèvent de ce qui n’est pas bon et les mettent à ce qui est bon. Ils connaissaient cela car ils voulaient s'emparer de l'homme libre et faire de lui leur esclave pour toujours.

    (10b) Ce sont ces forces qui luttent contre l’homme ne voulant pas qu’il se délivre afin de dominer pour toujours sur lui comme sur un esclave. Car si l’homme était délivré, les sacrifices d’animaux ne se produiraient plus, ils ne seraient plus offerts à ces forces. En vérité, celles-ci sont des animaux, mais après qu’ils étaient offerts, ils mouraient. Quant à l’homme il fut offert à Dieu, mort, et il vécut.

    (11) Avant la venue du Christ, il n’y avait pas de pain dans le monde. Ainsi dans le paradis où était Adam, il y avait beaucoup d’arbres pour la nourriture des animaux ; il n’y avait pas de blé comme nourriture pour l’homme. L’homme se nourrissait comme les animaux, mais lorsque le Christ, l’Homme parfait (téléios) vint, il apporta du pain du ciel afin que l’homme se nourrît d’une nourriture d’homme.

    (12a) Les archontes croyaient que c’était par leur puissance et leur volonté qu’ils opéraient, mais c’est l’Esprit Saint qui opérait en secret par leur entremise comme lui-même le désirait.

    (12b) La Vérité est semée partout, elle qui existe depuis l'origine. Beaucoup la voient lorsqu'elle est semée, mais peu la voient quand elle est récoltée.

    (13) Plusieurs disent que Marie a conçu de l'Esprit (pneuma). Ils se trompent, ils ne savent pas ce qu'ils disent. Quand une femme a-t-elle jamais conçu d'une femme ? Marie est la vierge qu'aucune force naturelle (dynamis) n'a souillée. Elle est un grand anathème pour les Hébreux, qui sont les apôtres et les apostoliques. Cette vierge qu'aucune force n'a souillée est immaculée... et les forces naturelles se souillent. Et le Seigneur n'aurait pas dit : Mon Père qui est dans les cieux, s'il n'avait pas eu un autre père, il aurait dit simplement : Mon père.

    (14) Le Seigneur dit aux disciples : Eloignez-vous de toute maison. Entrez dans la maison du Père, ne prenez ni n’emporter rien de la maison du Père.

    (15) Jésus est un nom caché, Christ un nom manifesté. C'est pourquoi Jésus est semblable dans toutes les langues, on l’appelle toujours par le nom de Jésus. D'autre part, Christ est ´ messie ª en syriaque et christos en grec. Il est certain que tous les autres l'ont conformément à leur propre langue. Le nazaréen ª est celui qui révèle ce qui est caché. Christ possède tout en lui-même, soit homme, soit ange, soit mystère, et le Père.

    (16) Ceux qui disent que le Seigneur est mort d'abord puis ressuscité se trompent, car il est ressuscité avant de mourir. Si quelqu'un ne ressuscite pas d'abord, aussi vrai que Dieu est vivant, il ne mourra pas, il est déjà mort.

    (17) On ne cache pas un objet de valeur dans un grand vase, mais souvent des sommes incalculables sont placées dans un vase d’un sou. Il en est de même de l’âme. C’est un objet précieux qui se trouve dans un corps méprisable.

    (18a) Il y en a qui craignent de ressusciter nus. C’est pourquoi ils veulent ressusciter dans la chair, mais ils ne savent pas que c’est ceux qui sont revêtus de chair qui sont nus. Ceux qui se dépouilleront au point de se mettre nus, ceux-là ne seront pas nus.

    (18b) La chair et le sang ne peuvent hériter le Royaume de Dieu. Qu’est-ce qui n’héritera pas ? Ce dont nous sommes revêtus. Mais de quoi sera-t-il hérité ? Du Christ et de son sang. C’est pourquoi il a dit : Celui qui ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang n’aura pas la vie en lui. Qu’est-ce que sa chair ? C’est la Parole et son sang, c’est l’Esprit Saint. Celui qui a reçu cela a une nourriture, une boisson et un vêtement.

    (19a) Moi je blâme aussi ceux qui disent que la chair ne ressuscitera pas. Tous sont dans l’erreur. Tu dis que la chair ne ressuscitera pas, mais dis-moi ce qui ressuscitera pour que nous puissions te vénérer ? On dit que l’Esprit est dans la chair, et il y a aussi cette Lumière dans la chair et aussi la Parole. Quoi que tu dises, tu ne dis rien en dehors de la chair. Il est nécessaire de ressusciter dans cette chair là parce que tout est en elle.

    (19b) En ce monde, ceux qui portent des vêtements sont supérieurs aux vêtements. Dans le Royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les portent.

    (20) C'est par l'eau et par le feu que tout le lieu est purifié, le visible par le visible, le caché par le caché. Il y a des choses cachées  travers celles qui sont visibles. Il y a une eau dans l'eau, et un feu dans l'onction.

    (21) Jésus leur a tout dérobé car il ne s'est pas révélé tel qu'il était, mais comme ils étaient capables de le voir. Il leur est apparu à tous : grand aux grands, petit aux petits, ange aux anges (aggélos) et homme aux hommes. C'est pourquoi sa parole a été cachée à tous. Quelques-uns le voyaient croyant se voir eux-mêmes. Mais quand il apparut à ses disciples dans la gloire sur la montagne, il n'était pas petit, il était devenu grand, et il grandit ses disciples (mathètès) pour qu'ils fussent capables de le voir dans sa grandeur. Et il dit ce jour-là dans sa reconnaissance (eucharistia) : Toi qui unis la lumière parfaite à l'Esprit Saint, unis aussi les anges aux images que nous sommes.

    (22a) Ne méprisez pas l’agneau, car sans lui il est impossible de voir la porte.

    (22b) Personne ne pourra s'avancer vers le Roi s'il est nu.

    (23) Les fils de l'homme céleste sont plus nombreux que ceux de l'homme terrestre. Si les fils d'Adam sont nombreux bien qu'ils meurent, combien plus nombreux sont les fils de l'homme parfait, eux qui ne meurent pas mais sont perpétuellement régénérés.

    (24) Le Père fait un fils mais le fils ne peut faire de fils car, là, celui qui a été engendré ne peut engendrer, mais le fils acquiert non des fils mais des frères.

    (25a) Tous ceux qui sont engendrés dans le monde sont engendrés par la nature (physis), mais les autres par l'Esprit (pneuma). Et ceux-ci crient d'ici-bas vers l'homme, car ils se nourrissent de la promesse du lieu d'en haut.

    (25b) Si la parole (logos) sortait de la bouche, elle nourrirait par la bouche et ferait devenir parfait. En effet c'est par un baiser que les parfaits fécondent et enfantent. Pour cette raison nous nous embrassons aussi les uns les autres, et nous sommes fécondés par la grâce (charis) des uns et des autres.

    (26) Il y en avait trois qui marchaient toujours avec le Seigneur : Marie sa mère et sa sœur et Madeleine appelée sa compagne. Sa sœur, sa mère et sa compagne étaient chacune Marie.

    (27) Père et fils sont des noms simples, l’Esprit Saint est un nom double; or ils sont partout: en haut, en bas, dans l'invisible, dans le révélé. L'Esprit Saint est-il dans le révélé, il est en bas; est-il dans l'invisible, il est en haut.

    (28) Les saints sont servis par les puissances mauvaises. En effet celles-ci sont aveuglées par l’Esprit Saint, en sorte qu’elles croient servir les leurs, alors qu’elles travaillent pour les saints. C’est pourquoi un disciple posa un jour au Seigneur une question sur quelque chose du monde. Il lui répondit : Demande à ta mère, elle te donnera une réponse qui n’est pas d’elle.

    (29) Les apôtres disaient aux disciples : Puisse ce que nous apportons (prosphora) recevoir le sel. Ils appelaient Sophia le sel. Sans elle aucune offrande n’est acceptable. Mais la Sophia est stérile, sans enfant. C’est pourquoi on l’appelle ´ un peu de sel ª. Lorsqu’ils seront dans leur véritable voie, l’Esprit Saint... nombreux sont ses enfants.

    (30) Ce que le père possède revient au fils et le fils lui-même tant qu’il est enfant ne se voit pas confier ce qui lui revient. Mais lorsqu’il devient un homme, son père lui remet tout ce qu’il possède.

    (31a) Ceux qui ont été conçus par l'Esprit et qui sont égarés, c'est aussi par l'Esprit qu'ils sont égarés. En effet, c'est par le même souffle (pneuma) que s'allume et s'éteint le feu.

    (31b) Une chose est Achamoth et autre chose Echmoth. Achamoth est la Sagesse (sophia) absolue (aplÙs). Mais Echmoth est la sagesse de la mort, celle qui connaît la mort. C’est la petite sagesse.

    (32) Il y a des bêtes soumises à l'homme comme le bœuf, l'âne et autres. D'autres ne sont pas soumises et vivent seules au désert. L'homme laboure le champ avec les animaux soumis et grâce à cela, il se nourrit ainsi que les bêtes soumises ou non soumises. De même l'homme parfait : il laboure avec les forces (dynamis) qui lui sont soumises, préparant chacun à venir à l'être. C'est ainsi que tout est redressé, soit les bons, soit les méchants, et ceux de droite et ceux de gauche. L'Esprit les mène tous paître et gouverne toutes les forces, les soumises et les non soumises ainsi que les uniques. Il les rassemble et les enclôt afin que ceux qui le voudraient ne puissent s'enfuir.

    (33) Celui qui a été modelé (plassein) était de race noble, et tu devrait trouver que ses fils sont d’un noble (eugenés) modelage (plasma). S’il n’avait pas été modelé mais engendré, on trouverait que sa semence (sperma) est noble (eugenés). Or voici qu’il a été modelé et qu’il a engendré. Quelle noblesse (eugeneia) y a-t-il eu en cela ? Il y eut adultère et ensuite meurtre. Il fut conçu dans l’adultère, car il était fils du serpent ; c’est pourquoi il devint meurtrier, comme son père, et tua son frère. Or toute union (koinÙnia) entre personnes dissemblables est un adultère.

    (34a) Dieu est un teinturier. De même que les bonnes teintures, qualifiées de vraies, se dissolvent dans les choses teintes en elles, ainsi en est-il des choses que Dieu teinte. Et comme ses teintures sont immortelles, ces choses deviennent immortelles grâce à ses couleurs.

    (34b) Dieu baptise dans l’eau ce qu’il baptise.

    (35) Il est impossible de voir les choses qui existent véritablement sans être comme elles. Il n'en est pas ainsi de l'homme dans ce monde qui ici voit le soleil bien qu'il ne soit pas le soleil, qui voit le ciel et la terre et toutes choses en n'étant rien de celles-ci. Mais si tu vois quelque chose de ce lieu-là c'est que tu es devenu cela. Tu as vu l'Esprit, tu es devenu Esprit. Tu as vu le Christ, tu es devenu Christ, tu as vu le Père, tu es devenu le Père. C'est pourquoi ici tu vois toute chose sans te voir toi-même, mais en ce lieu-là tu te vois car ce que tu vois, tu l'es devenu.

    (36) La foi reçoit, l’amour donne. Personne ne peut recevoir sans la foi. Personne ne peut donner sans l’amour. C’est pourquoi nous avons la foi afin de recevoir, et nous devons aimer afin de donner vraiment, car celui qui donne sans amour n’en a aucun profit. Celui qui n’a pas reçu le Seigneur est encore un Hébreu.

    (37) Les Apôtres qui nous ont précédés, l'appelaient ainsi Jésus, le Nazoréen, le Messie, c'est-à-dire Jésus le Nazoréen, le Christ. Le dernier nom est Christ. Le premier est Jésus. Celui du milieu Nazaréen. Messie a deux significations: le Christ et le mesurable. Jésus en hébreu est la rédemption, Nazara est la vérité. Donc le Nazaréen est (l'homme) de la vérité. Christ a été rendu mesurable, et c'est le Nazaréen et Jésus qui l’ont mesuré.

    (38) La perle, si elle est jetée dans la boue, n’a pas moins de valeur, et si on l’oint d’une substance odoriférante, elle n’en acquerra pas davantage, mais elle a toujours la même valeur pour son propriétaire. Ainsi en est-il des fils de Dieu ; où qu’ils soient, ils gardent toujours leur valeur auprès de leur Père.

    (39) Si tu dis: Je suis juif, personne ne bronchera. Si tu dis: Je suis un Romain, personne ne s'en affectera. Si tu dis: Je suis un Grec, un barbare, un esclave, un homme libre, personne ne se troublera. Si tu dis: Je suis un chrétien, tous trembleront. Puisse-t-il m'arriver de recevoir ce nom-là, que les archontes ne supportent pas lorsqu'ils l'entendent.

    (40) Dieu est un mangeur d’hommes. C’est pourquoi l’homme lui est sacrifié. Avant que l’homme ne lui soit sacrifié, on lui sacrifiait des animaux, mais ce n’étaient pas des dieux ceux à qui ils étaient sacrifiés.

    (41) Les vases de verre et les vases de terre sont fabriqués au moyen du feu. Mais les vases de verre, s'ils se brisent, sont modelés à nouveau, car ils proviennent d'un souffle. Les vases de terre, eux, s'ils se brisent, sont détruits, car ils ont été produits sans le souffle.

    (42) L’’ne qui fait tourner la meule du moulin fait cent mille en marchant, mais lorsqu’on le détache, il se trouve toujours au même endroit. Il y a de ces hommes qui voyagent beaucoup mais n’avancent nulle part. Lorsque le soir arrive ils n’ont vu ni villes ni villages, ni choses créées, ni choses naturelles, ni forces, ni anges. En vain les malheureux ont-ils souffert.

    (43a) L’eucharistie est Jésus. Jésus est appelé en syriaque pharizata, celui qui est étendu. En effet, Jésus est venu pour crucifier le monde.

    (43b) Le Seigneur entra dans la teinturerie de Lévi. Il prit soixante-douze couleurs et les jeta dans la cuve. Il les retira toutes blanches et dit : C’est ainsi que le Fils de l’Homme est venu comme teinturier.

    (44a) La Sophia qui est appelée stérile est la mère des anges.

    (44b, 45) Et la compagne du fils est Marie Madeleine. Le Seigneur l'aimait plus que tous les disciples et il l'embrassait souvent sur la bouche. Les disciples le voyaient et ils lui dirent : Pourquoi l'aimes-tu plus que nous tous ? Le sauveur répondit et leur dit : Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu'elle ? Un aveugle et quelqu'un qui voit, quand ils sont tous deux dans l'obscurité ne se distinguent pas l'un de l'autre. Si la lumière vient, alors celui qui voit verra la lumière alors que celui qui est aveugle demeurera dans l'obscurité.

    (46) La supériorité de l’homme n’est pas apparente mais cachée. C’est pourquoi il est le maître des animaux, de ceux qui sont plus forts que lui, qui sont grands selon ce qui est apparent et ce qui est caché, mais c’est lui qui leur donne leur subsistance. Si l’homme se sépare d’eux, ils se mordent les uns les autres et s’entre-tuent. Ils s’entre-dévorent parce qu’ils ne trouvent pas d’autre nourriture. Mais maintenant ils ont de la nourriture parce que l’homme travaille la terre.

    (47) Si quelqu'un descend dans l'eau, en ressort sans avoir rien reçu et dit: Je suis chrétien, il emprunte ce nom à intérêt. Mais s'il reçoit l'Esprit Saint, il possède ce nom comme un don. Or à celui qui a reçu un don, on ne le lui reprend pas, mais à celui qui l'a emprunté, on lui en demande le paiement avec les intérêts. C'est ainsi que cela se passe lorsqu'on pénètre un mystère.

    (48) Grand est le mystère du mariage! Sans lui le monde ne serait pas. En effet, la persistance (sustasis) du monde, c'est l'homme, et la persistance de l'homme est le mariage. Mais apprenez que la relation (koinÙnia) immaculée possède une grande force (dynamis). Son image en est la forme extérieure (schéma) impure.

    (49) Parmi les esprits impurs, il y en a de masculins et de féminins. Les masculins s'unissent aux ’mes qui habitent une forme extérieure féminine, et les féminins sont ceux qui s'unissent aux ’mes qui ont une forme extérieure masculine, parce qu'elles ont été séparées. Et nul être humain ne peut y échapper lorsqu'ils le tiennent, à moins qu'il ne reçoive une force à la fois masculine et féminine, c'est-à-dire la force du fiancé et de la fiancée. Or on reçoit celle-ci dans la chambre nuptiale, qui est une image.

    (50a) Quand les femmes libertines voient un homme seul, elles se jettent sur lui, jouent avec lui et le souillent. De même les hommes libertins s'ils voient une jolie femme seule, ils la séduisent ou lui font violence pour la souiller. Mais s'ils voient un homme et sa femme ensemble, les femmes ne peuvent venir vers l'homme, ni les hommes vers la femme. Il en est de même si l'image et l'ange (aggelos)) sont unis, personne n'osera ni ne pourra aller vers l'homme ou la femme.

    (50b) Celui qui sort du monde n’est plus prisonnier comme il l’était dans le monde. Il est au-dessus du désir, de la mort et de la crainte. Il est maître de la nature, il est supérieur à l'envie. Ces forces tiennent et étouffent chacun mais comment les fuir ? Comment se cacher d’elles ? Souvent certains disent : Nous sommes croyants. Ceci pour échapper à ces esprits impurs et à ces démons. Car s’ils possédaient l’Esprit Saint, aucun esprit impur ne s’attacherait à eux.

    (51a) Ne crains pas la chair mais ne l’aime pas non plus. Si tu la crains, elle te dominera. Si tu l’aimes, elle te dévorera et t’étranglera. Ou bien on est dans ce monde, ou bien dans la résurrection, ou bien dans les lieux du milieu. Que je ne sois pas trouvé dans ce dernier.

    (51b) Dans ce monde il y a du bien et du mal. Ce qui est bien n’est pas bien et ce qui est mal n’est pas mal. Mais il y a, après ce monde, un mal qui est vraiment un mal et qu’on appelle le milieu, c’est la mort. Tant que nous sommes en ce monde, il faut parvenir à la résurrection afin que, une fois dépouillé de la chair, nous trouvions le repos et n’errions pas dans le milieu. Car beaucoup s’égarent en chemin, aussi est-il bon de s’en aller du monde avant d’avoir péché.

    (52) Il y en a qui ne veulent ou ne peuvent (pécher). D’autres, même s’ils le désirent ne sont pas plus avancés de ne l’avoir pas fait, car ce désir en fait des pécheurs de même que de ne pas agir. La justice s’écartera d’eux, tant de celui qui ne désire pas que de celui qui n’agit pas.

    (53) Le disciple d'un apôtre aperçut dans une vision plusieurs personnes enfermées dans une maison en feu, enchaînées et gisant dans le feu. Il leur dit: Jetez de l'eau dans le feu et ils dirent qu’ils étaient incapables de se sauver... qu’ils ne le désiraient pas. Ils reçurent le châtiment dénommé ténèbres extérieures ª parce qu'elles... d'eau et de feu.

    (54) L'’me et l'esprit sont nés de l'eau et du feu. C'est de l'eau, du feu et de la lumière que le fils de la chambre nuptial est né. Le feu est l'onction (chrisma), la lumière est le feu. Je ne parle pas de ce feu qui n'a aucune forme, mais de cet autre feu dont la forme est blanche, qui est lumière et beauté, et qui confère la beauté.

    (55a) La Vérité ne vient pas dans le monde nue, mais en signes (tupos) et en images (eikÙn). On ne la recevra pas autrement.

    (55b) Il y a une renaissance et une image de la renaissance. Il est assurément nécessaire de naître à nouveau selon cette image. Laquelle ? la résurrection. L'image doit ressusciter par l'image. La chambre nuptiale (nymphÙn) et l'image doivent pénétrer dans la Vérité par l'image, telle est la régénération (apokatastasis).

    (55c) On prononce le nom du Père, du Fils et de l’Esprit, et on le prononce même sur autrui, mais si on n'acquiert pas vraiment ce nom pour soi-même, le nom nous sera aussi repris. Or on le reçoit par l'onction de la plénitude du pouvoir de la croix, pouvoir que les apôtres ont appelé la droite et la gauche. Car cet homme n'est plus alors un chrétien mais un Christ. Le Seigneur a fait du tout un mystère: baptême et onction et eucharistie et rédemption et chambre nuptiale.

    (56) Le Seigneur dit : Je suis venu pour faire que les choses d’en bas soient comme les choses d’en haut, et que les choses du dehors soient comme celles du dedans. Je suis venu pour les unifier là (en haut). Il s’est manifesté ici (en bas) en symboles et en images. Ceux qui disent : il y a un homme céleste et il y a quelqu’un au-dessus de lui, se trompent. Car c’est le premier de ces deux hommes célestes, celui qui s’est manifesté, qu’ils appellent celui qui est en bas ; et ils pensent que c’est celui à qui appartient ce qui est caché qui est au-dessus de lui. Mais il vaudrait mieux dire : l’intérieur et l’extérieur, et l’extérieur de l’extérieur. C’est pourquoi le Seigneur a appelé la destruction ´ ténèbres extérieures ª car il n’y a rien d’extérieur à elles.

    (57) Il a dit : mon Père qui est dans le secret. Il a dit : Entre dans ta chambre et ferme la porte sur toi et prie ton Père qui est dans le secret, c’est-à-dire à l’intérieur d’eux tous. Or ce qui est à l’intérieur d’eux tous est la plénitude. Au-delà de cela il n’y a rien d’autre à l’intérieur. C’est de cela qu’ils disent : Ce qui est au-dessus d’eux.

    (58) Avant le Christ, certains vinrent d’un endroit o˜ ils ne purent plus entrer et allèrent là d’où ils ne purent plus sortir. Alors vint le Christ. Ceux qui étaient entrés il les fit sortir, et ceux qui étaient sortis il les fit entrer.

    (59) Quand Eve était en Adam, la mort n’existait pas. Après qu’elle fut séparée de lui, la mort survint. S’il la reprend en lui et retrouve son être premier, il n’y aura plus de mort.

    (6O) Mon dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? C’est sur la croix qu’il dit ces paroles ; car il a abandonné là tout ce qui fut engendré par ce qui est extérieur à Dieu. Le Seigneur ressuscita des morts, et redevint ce qu’il était, mais son corps était parfait. Or il avait une chair, mais cette chair était la vraie (alèthinos) chair. Notre chair au contraire n’est pas la vraie mais seulement une image de la vraie chair.

    (61a) La chambre nuptiale n'est pas pour les animaux, ni pour les esclaves ni pour les femmes impures, mais pour les hommes libres (ÈleuthÈros) et les vierges (parthénos).

    (61b) En vérité nous sommes renés dans l’Esprit Saint, mais nous sommes renés par Christ deux à deux. Nous sommes oints par l’Esprit. Quand nous sommes renés, nous avons été unis.

    (61c) Personne ne peut se voir soi-même sans lumière dans une eau ou dans un miroir, pas plus que tu ne peux te voir à la lumière sans eau ni miroir. C’est pourquoi il faut baptiser à la fois dans la lumière et dans l’eau. Or la lumière est l’onction.

    (62a) Il y avait à Jérusalem trois lieux d'offrande. Le premier, vers l'ouest, était appelé le Saint. Le deuxième, vers le sud, était appelé le Saint du Saint. Le troisième, vers l'est était appelé le Saints des Saints, l'endroit o˜ seul le grand prêtre pénètre. Le baptême est le Saint, la rédemption est le Saint du Saint, la chambre nuptiale est le Saint des Saints. Le baptême implique la résurrection et la rédemption. La rédemption a lieu dans la chambre nuptiale. Mais la chambre nuptiale est ce qui est supérieur... à Jérusalem, le voile sépare le Saint des Saints... mais la chambre nuptiale est l’image de la chambre nuptiale qui est au-dessus de l’impureté. Son voile s’est déchiré du haut en bas car il convenait à quelques-uns d’en bas de monter en haut.

    (63) Ceux qui sont revêtus de la Lumière parfaite, les forces naturelles (dynamis) ne les voient pas et ne peuvent s'en emparer. On revêtira cette Lumière dans le mystère, dans l'union.

    (64a) Si la femme n’avait pas été séparée de l’homme, elle ne serait pas morte avec l’homme. Sa séparation a été à l’origine de la mort. C’est pourquoi Christ est venu remédier à cette séparation, qui existe depuis le commencement, réunir les deux, redonner la vie à ceux qui étaient morts dans la séparation et les unir. Or la femme s’unit à l’homme dans la chambre nuptiale. En vérité ceux qui se sont unis dans la chambre nuptiale ne seront plus jamais séparés. Ainsi Eve s’est séparée d’Adam parce qu’elle ne s’était pas unie à lui dans la chambre nuptiale.

    (64b) L’âme (psyché) d’Adam naquit d’un souffle. Le compagnon de son ’me est l’esprit (pneuma). Ce souffle qui lui fut donné est sa mère. Son ’me fut remplacée par un esprit. Lorsqu’il lui fut uni, il prononça des paroles qui dépassaient les forces naturelles (dynamis). Celles-ci le jalousèrent, privées qu’elles étaient de ce compagnon spirituel secret, exempt de tout mal, ce qui les privait de la possibilité de la chambre nuptiale...

    (65) Jésus manifesta sur le Jourdain le plérôme du Royaume des cieux. Celui qui était engendré avant toute chose était engendré de nouveau. Lui qui avait été oint, était oint à nouveau. Celui qui avait été racheté venait en racheter d'autres.

    (66) En vérité, il faut dire un mystère. Le Père du tout s'est uni à la vierge (parthenos) qui était descendue, et un feu l'éclaira en ce jour. Il apparut dans la chambre nuptiale. C'est pourquoi son corps qui fut produit en ce jour vint de la chambre nuptiale comme produit par le fiancé et la fiancée (nymphios, nymphè). C'est ainsi que Jésus a établi toute chose par eux. Il est nécessaire que chacun des disciples entre dans son repos.

    (67a) Adam est venu à l’existence grâce à deux vierges, l’Esprit et la terre vierge. C’est pourquoi le Christ naquit d’une vierge pour rectifier la chute qui s’est produite à l’origine.

    (67b) Il y a deux arbres au milieu du jardin. L'un engendre des animaux (thèrion), l'autre engendre des hommes. Adam mangea de l'arbre qui engendrait des animaux. Il devint animal et engendra des animaux. C'est pourquoi les enfants d'Adam adorent (sébesthai) des animaux. L'arbre dont Adam a mangé le fruit est l'arbre des animaux c’est pourquoi les péchés furent nombreux ; s’il avait mangé... du fruit de l’arbre qui porte des hommes, alors les dieux adoreraient l’homme. Car Dieu à l’origine avait créé l’homme, mais maintenant les hommes créent des dieux. C’est ainsi qu’il en va dans le monde : les hommes créent des dieux et adorent leurs créatures. Mais ce sont ces dieux qui devraient adorer les hommes ! Telle est la vérité.


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